Je m’étais levée si tôt ce matin que mon ventre commençait à gargouiller à peine parti de la colonie. J’avais laissé allumer une lumière dans ma chambre afin que je me réveille plus facilement, car même une sonnerie ne pouvait pas m’enlever de mon édredon. J’avais donc pris mes mesures de sécurité. C’est que je ne voulais aucunement être en retard et manquer une si belle occasion… Quoi, vous ne savez pas ? L’équipe de recherche en Botanique avait prévu de passer plusieurs heures dans la flore de Terra Nova. Et devinez qui a été choisi comme assistance… Moi ! Je suis tellement heureuse. Pire. J’explose de joie. Le professeur m’a choisi et j’ai conscience de ma chance. Découvrir en direct ses recherches, voir la première des spécimens encore inconnus à nos yeux, tout cela était un grand privilège. Je n’avais pas refusé (qui l’aurait fait ?) et me voilà, en ce moment, à parcourir la jungle du paradis.

La route avait été mouvementée en voiture. Nous avions du nous enfoncer dans la forêt et les racines de certains arbres ou même le sol bosselé nous avaient posés quelques problèmes. Évidemment, nous avions perdu au moins une heure à dégager la route lorsqu’il le fallait. Et puis, le professeur avait demandé de s’arrêter à un endroit. Mon cœur s’était arrêté l’espace d’un instant. Avait-il repéré une nouvelle race, une plante que seuls les oiseaux de la région en connaissaient l’existence ? Faire partie d’une telle découverte scientifique était à mes yeux si sublimes que je me précipitais près du professeur dès qu’il sortit de sa voiture. Je voulais l’accompagner dans tous ses mouvements, faits et gestes. Je voulais devenir comme lui afin de connaitre Terra Nova pour mieux la protéger.

« Regardez Avalon. » Il pointe alors son doigt vers l’orée d’une petite clairière. Des fleurs bleues couvrent le sol par millier. On pourrait croire à une peinture irréaliste. Devant un tel paysage, je sens tous mes sens s’atténuer. Seuls mes yeux sont grands ouverts et brillent d’espoir. Je m’avance malgré moi. J’ai comme l’impression que je ne contrôle même plus mes gestes. Le professeur a l’air de ne penser qu’à ces végétaux qui nous éblouissent l’œil. Nous arrivons à destination. Je n’ose pas mettre un pas devant l’autre de peur d’écraser une de ces fleurs. Je me penche vers elles, je les fixe, je les examine. « Ils nous en faut comme échantillon. Ramassez-en quelques une Avalon. Je m’occupe de la ronce là-bas. » J’acquiesce par un mouvement de la tête. Puis, en me raclant la gorge, je lance un petit « oui ».

Je m’active sur un petit périmètre que je me suis imaginée. Je sortis ma fine lame. Ma sœur me l’avait offert lorsque je suis entrée dans le service des recherches. Elle avait été fière de voir que je m’intégrais si bien dans la colonie et surtout de voir que je voulais participer à la reconstruction de notre futur. C’était une belle arme. L’acier tranchant était incrusté dans son manche en bois sculpté finement. Je la portais toujours à mes côtés. Cette lame était ma seule arme, mais signifiait aussi ce à quoi je voulais me destiner : devenir Botaniste. Je prends délicatement une fleur bleue et je commence à la déterrer. Ne jamais couper une plante de sa tige, car elle allait aussitôt mourir l’heure suivante. Il fallait conserver ses racines pour pouvoir l’examiner dans de meilleures conditions, voire pour pouvoir la cultiver dans une des serres que possédait le professeur. Qui sait ce que recèlent ces fleurs bleues… Un antidote, un médicament ? Je dépose ma trouvaille dans un bac posé près de moi et je recommence mon geste.

Soudain, un cri retentit tout près de la petite clairière. Cette fois, mes sens sont tous en éveil. Mes oreilles sont à l’affut. Je relève la tête pour jeter un coup d’œil à la forêt qui nous entoure. Puis, je tourne mon regard vers les gardes qui nous accompagnent. C’est alors que je les vois s’activer autour des voitures. Puis, j’entends des ordres criés et les hommes se contractent dans leur uniforme indestructible. Je sens que quelque chose va mal. Pourtant, la jungle semble si tranquille. Rien ne bouge. Mon sang se glace dans les vaisseaux qui parcourent mon corps. Je n’aime pas les créatures de Terra Nova. Un autre cri résonne dans la vallée, plus proche. Je frissonne et je me sens en danger. La peur s’incruste en moi petit à petit. C’est alors que, hésitante, je lève la tête vers le ciel… qui n’est plus d’un bleu immaculé, mais taché de noir. Je laisse échapper de ma gorge un cri. Des ptéranodons. « Qu’est-ce que… ».

Je n’ai même pas le temps de poser ma question que des bras puissants me prennent par les aisselles et je décolle sur sol. Mes yeux s’écarquillent de stupeur. Un soldat vient me chercher. Je me débats comme je peux, car je peux courir par mes propres moyens. Le fait d’être portée par un homme m’embarrasse. Je ne suis pas une petite fille. Néanmoins, je me laisse faire, car je vois les oiseaux-reptiles se diriger dans notre direction à toute vitesse. Leur ailes sont longues et leur bec pointu et meurtrier. Je n’aime pas du tout ça. Voilà une chose que je n’apprécie pas sur Terra Nova : les dinosaures. Cette fois, je ne tente pas de m’enfuir des bras protecteurs du soldat. Je m’y tiens avec ténacité, car au fond de moi je sais que la peur me paralyse entièrement. On m’engouffre dans une voiture et une seconde plus tard, les oiseaux sont dans la clairière. Certain essaye d’enfoncer le métal des engins à l’aide de leur bec. Je pousse un gémissement à chaque bruit. Je m’enfonce sur mon siège et je regarde la scène avec appréhension. « Mais pourquoi nous attaquent-ils ? Nous n’avons rien fait de mal… ». Aucune réponse. Je tourne la tête dans le compartiment. Je suis seule face à des soldats. Il manque quelque chose, je le sens. Quelqu’un manque à l’appel. « Le professeur ! ». Je n’ai pas pu m’empêcher de crier. « Où est-il ?! Où le professeur ?! ». Je m’emporte contre les soldats. Le professeur était toujours dehors, alors il fallait l’aider. Je me refusais de le penser en danger. On ne pouvait pas perdre un si grand chercheur, un si grand homme. « Mais allez le chercher ! Qu’est-ce que vous attendez ?! ». Je fais mine de sortir de la voiture. Mes mains sont moites, j’ai la gorge nouée. J’attrape le manche et tente de pousser la porte du véhicule. Mais on me plaque contre mon siège. « Arrêtez Mademoiselle. Le professeur est sauf. Il est dans l’autre voiture. ». La réponse du soldat s’abat sur moi comme la foudre. Je ne bouge plus. Je ne sens plus que mes joues chauffées sous l’effet de la honte et du désarroi. Je me sens bête et ridicule. Je ne prononce plus aucun mot. J’essaye juste de réfréner les battements de mon cœur.