Toronto, 2108. Naissance banale. Second enfant de mes parents. Ils n'avaient pas prévu d'en avoir un troisième, rien à signaler de ce côté-là. Hôpital pollué de centre-ville, surchargé un samedi. Dix doigts, dix jambes. Bienvenue au monde.

Washington, 2129. J'ai passé ce qu'on pourrait appeler une enfance parfaitement idyllique. Mes parents étaient assez patriotes pour s'attirer les ferveurs des gens qu'il fallait et ainsi pouvoir me payer une éducation de premier choix. Peut-être étaient-ils du mauvais côté des affaires ? Je ne me suis jamais posé réellement la question. Je voyais la guerre, je voyais la mort, je voyais les famines et les pollutions. Mais tout cela ne m'affectait pas vraiment. Je voyais de l'intérieur. Et eux étaient à l'extérieur. Papa ne cessait de me dire que c'était des gens "sans intérêt" pour reprendre ses mots. Pendant toute mon enfance, je l'ai cru. J'y étais contraint, c'était mon père et il avait la divine parole. Plus tard, j'ai commencé à saisir que nous étions privilégiés par rapport à eux et que j'aurais très bien pu vivre, moi aussi, dans la rue ou pire. Mon frère aîné est mort à dix-sept ans. Présumé mort, en tout cas. Il a fugué et on ne l'a plus jamais revu. Cela a certes attristé mes parents, mais ils se sont vite réconfortés eux-mêmes en me chouchoutant comme il fallait. Ça a été très dur pour eux lorsque j'ai du voler de mes propres ailes. Plus dur pour eux que pour moi ? Oui, largement. Moi, j'étais prêt ; eux se maudissent, où qu'ils soient, de m'avoir laissé partir.

Washington, 2135. J'avais fait des études. J'avais certes mes diplômes. Et pourtant, cela faisait près d'un an que je vivais dans la rue, après avoir enchaîné des petits boulots sans lendemain. Oui, avec microbes et bactéries, avec misère et meurtre. Un an que je côtoyai un monde qui n'était pas le mien, de par ma lignée, tout en l'étant, de par mes choix. J'avais énormément d'amis dans la rue, plus encore de relations. Peut-être plus de relations que mon père ne pouvait avoir. J'errai, retournant à mes cachettes préférées pour dormir et à mes bordels préférés pour me détendre. J'avais échappé au service militaire, grâce à mon père. J'échappais au fur et à mesure aux conflits du monde entier. Je savais que j'avais de la chance. Mais je m'apitoyai sur mon sort. Ce n'était pas normal. Je me sentais privilégié alors que je n'avais rien à faire du milieu de mes parents. Et j'avais honte de ne pas être assez déterminé pour assumer mes actes.

New York, 2140. Même en changeant de ville, je ne pus échappé aux avantages que me fournissaient les relations de Papa. Il finissait par retrouver ma trace, sous les supplications de ma mère, et par envoyer quelques aides financières, d'une quelconque façon que ce soit. Mais les temps avaient changé. Ces fois-là, j'acceptai tout ce qu'ils pouvaient m'expédier, mettant ma fierté de côté, car je devais subvenir aux besoins de mon enfant. J'étais père depuis peu et certes malgré moi. Papa ne le savait pas, Maman non plus. Je ne voulais pas leur dire. Je ne voulais pas leur infliger la perte d'un petit-fils. Car assurément, ce garçon sans mère ni destin, finirait par mourir dans la rue, malgré tout l'amour que j'aurais pu lui donner.

Washington, 2141. Aussi, après quelque mois de réflexion intense, je mis fin à mes vieilles rancunes avec mes parents et alla les rencontrer pour solliciter leur aide et leur confier l'enfant. Maman m'appris que Papa était mort, maladie aux poumons. Je n'ai pas pleuré, je n'ai pas bronché. J'étais triste mais je ne pouvais pas lui montrer. Je lui ai appris pour l'enfant. L'espace d'un instant, elle a paru aller subitement mieux. Je n'avais fait que la réconforter quelques instants. Puis, elle m'a dit qu'elle avait été sélectionnée. Je ne comprenais pas. Je n'avais pas entendu parler de cet endroit qu'on nommait Terra Nova. Elle m'a tout expliqué. Elle était physicienne, ils avaient besoin d'elle pour fonder le camp. Je me souviens alors de l'avoir prise dans mes bras et de l'avoir serrée très fort.

Hope Plaza, 2142. La lumière. Maman à ma droite. Eiden à ma gauche. Nous avançons, le coeur serein. En dépit de tout ce que nous avons pu traverser, nous avançons ensemble, pour un nouvel espoir, pour une nouvelle chance. Je décide de passer le premier. Puis viendra Eiden puis Maman. Le garde me fait signe de patienter. L'homme de devant part. Puis j'avance. Et... Terra Nova apparaît, sous mon regard émerveillé. Des arbres à perte de vue, un ciel bleu et épuré, de l'air frais. Cela semble à peine croyable. Je n'ai pas le temps de tout contempler que mon fils arrive de l'autre côté, je l'accueille à bras ouverts. Il se gratte les yeux à plusieurs reprises, un sourire aux lèvres. Puis Maman arrive. Je la vois encore : ouvrant deux grands yeux ronds dans une expression de visage presque figée. Puis elle tombe. Je la vois encore : haletant sur le sol, les médecins s'affairant à ses côtés. Rien à faire. Crise cardiaque. Poumons trop usés pour s'habituer sans choc à l'oxygène présent dans l'atmosphère. Elle est morte. Et je pleure. Si Terra Nova était un espoir, qu'est-ce que c'est, maintenant ?

Terra Nova, 2148. Le Commandant est un type bien. Terra Nova, un espoir qui mérite d'être cultivé. Malgré toutes les épreuves par lesquelles je suis passé, je suis plus déterminé que jamais à vivre ici. Eiden grandit à vue d'oeil, et s'est fait plein d'amis dans le camp. Moi aussi, il faut dire. J'ai quitté la garde du Commandant que j'avais intégré dès mes premiers jours, à présent mais je ne m'en porte pas plus mal. Il a gardé son estime pour moi et je pense que mes relations ne changeront pas pour autant. J'ai finalement décidé d'avoir une vie plus tranquille qu'avant, commerçant et discutant avec les habitants du camp, à mon gré.