Si je n’avais jamais véritablement aimé la vie en communauté, c’était principalement parce que cela mettait des limites, des frontières, à ma liberté et à mon indépendance. J’étais un esprit libre, j’aimais pouvoir faire ce que je voulais quand je le voulais. Oui, j’avais un caractère de merde. Moi avant les autres. Ce n’était pas spécialement de l’égoïsme, juste une sorte d’instinct de survie… Enfin, c’était ce dont j’essayais de me convaincre.

La vie à la colonie était agréable. J’étais arrivée avec le 10ème pèlerinage, cela ne faisait même pas deux semaines que j’étais ici, mais j’avais déjà un avis sur tout cela. Dans le fond, je me plaisais ici. Les gens étaient gentils, j’avais fais la connaissance de nombreuses personnes vraiment adorables, et de certaines autres avec lesquelles je n’avais aucune affinité mais qui n’avaient pas pour autant un mauvais fond. Je m’étais liée avec un soldat, Dean Anderson, et avais trouvé un boulot comme serveuse dans le seul bar de Terra Nova, chez Kara. Au moins, nous n’avions pas de concurrence comme du temps où j’étais serveuse à Détroit. Ma ville natale me manquait, parfois. Ici, il n’y avait pas de gris, pas de noir, pas de blanc. Tout était vif, lumineux, luxuriant, vert, jaune, émeraude. Et tout le monde semblait adorer cela mais moi, j’avais un peu le mal du pays.

J’avais envie de revoir la neige.

Mais c’était Terra Nova, désormais, mon pays. Ici, c’était chez moi à présent. Même si c’était encore difficile de se faire à cette idée.

Le soleil était à peine levé. Des gardes faisaient déjà des rondes dans les rues et ils se relayaient dans les miradors au-dessus du mur qui entourait la colonie. Ils étaient là pour nous protéger. Ou nous surveiller. Certains jours j’étais vraiment heureuse qu’ils soient là, et puis d’autres… j’étais à deux doigts de prendre un fusil et de tirer dans le tas ! Mais j’en aurais été bien incapable, je ne savais même pas comment armer ces petites choses. Tout ce que je savais faire pour me défendre, c’était avec mon couteau et mon agilité. J’étais plutôt rapide et habile, à l’arme blanche. Mais sans mon couteau papillon, je ne valais pas grand-chose côté intimidation.

Petite brune, fine et menue, je n’étais pas vraiment dangereuse, au premier coup d’œil. Oh, certaines femmes avaient bien eu peur que je ne leur vole leurs maris, à une époque, mais c’était terminé aujourd’hui. Je n’étais plus une prostituée. Je ne volais plus les hommes mariés. Je respectais les liens sacrés du mariage, à présent, et ne soumettais pas à la tentation les hommes déjà engagés ailleurs. Parce que je voulais croire que si je me mariais un jour, j’apprécierais qu’aucune putain n’essaye de me voler mon mec. A moi.

Avec un peu d’entraînement, j’avais réussi à trouver les endroits où étaient dissimulés les caméras de surveillance et les postes de gardes de la colonie. J’étais dorénavant capable de me déplacer dans le camp presque sans être vus par eux. Bon, ce n’était encore pas parfait, je faisais encore quelques erreurs, mais j’en apprenais davantage tous les jours et bientôt, je serais invisible. Ou pas. Ils installaient de nouveaux dispositifs de sécurité sans arrêt, à cause de la menace que représentaient les sixers. Personnellement, je ne voulais pas me mêler à leur guerre. Elle ne me regardait pas. Mais si Dean, le soldat dont j’étais peu à peu en train de tomber amoureuse, devait se battre pour la colonie, alors cette guerre deviendrait aussi la mienne. Je n’aurais pas le choix. Choisir mon camp par amour plutôt que par conviction ? Si je le faisais, j’allais me décevoir….

Ayant trouvé un coin plutôt à l’écart de tout le reste, près d’un mur de la colonie envahi de mauvaises herbes et de plantes grimpantes, visiblement une sorte de jardin laissé à l’abandon, je décidais que c’était l’endroit rêvé pour ce que je voulais faire. Je jetais un coup d’œil autour de moi. Personne ne pouvait me voir. Je me trouvais derrière des bâtiments de la maintenance, ils me dissimulaient des regards indiscrets des rares personnes matinales qui déambulaient dans les « rues » de la colonie. Je posais ma besace sur le sol et en sorti un tapis de gym que je dépliais et étalais par terre. Je retirais ma tunique, trop ample et trop chaude, me retrouvant en pantalon de lin blanc, léger, et en brassière de sport. Je commençais une petite gymnastique matinale, quelques étirements tranquilles.

Puis, échauffée, je pris le tapis de gym et allais l’accrocher sur le mur d’enceinte de la colonie. Une silhouette était dessinée de ce côté-là du tapis. Je vérifiais qu’il était correctement accroché et sorti de ma besace une ceinture assez particulière, que je passais autour de ma taille. Sur celle-ci, étaient fixés une douzaine de couteaux, de toutes tailles et de tous poids. Je préférais utiliser mon couteau papillon pour le combat au corps à corps, mais je n’étais pas mauvaise au lancé non plus. A condition que je m’entraîne régulièrement et ici, ce n’était pas facile. Les civils n’étaient pas sensés avoir ce genre d’arme sur eux. Aucune arme, d’ailleurs. Dean avait déjà vu mon papillon et il ne m’avait pas dénoncé, mais s’il avait su que je transportais autant d’armes… il aurait été obligé de me les confisquer. Et je ne l’aurais pas supporté.

Patiemment, je choisis l’un des couteaux à ma ceinture, visais et lançait. Le premier lancé fut mauvais, je ne réussis qu’à planter mon arme dans les contours de la silhouette dessinée sur le tapis. Le seconde lancé fut un peu meilleur, il atteignit ma cible dans l’épaule. Je pris un troisième couteau et m’apprêtais à le lancer à son tour, quand un bruit derrière moi attira mon attention. Je me retournais, le couteau à la main, plus menaçante que je n’en avais l’intention, et me retrouvais nez à nez avec un homme en uniforme… Allait-il croire que j’allais lui lancé le couteau dessus ? Que j’allais l’attaquer ? Ou que j’étais l’une des sixers dont tout le monde entendait parler à longueur de temps ? Quoi que l’homme puisse croire, avec le nombre d’arme que j’avais en ma possession, j’étais dans de beaux draps !

Je laissais mon couteau au soldat. Je n’avais pas le choix, de toute façon. Il s’amusa un peu avec, visiblement fin connaisseur. J’en éprouvais un certain réconfort, au moins mes armes seraient dans les mains de quelqu’un qui savait les apprécier. Mais à ma plus grande surprise, le soldat ne me les confisqua pas. Il me rendit mon couteau, prétextant ne pas être de service et donc, pas dans l’obligation de me prendre mes jouets. Je lui adressais un bref sourire de remerciements, sous le choc. Il se présenta, ensuite, tout à fait courtois, me demandant si cela faisait longtemps que j’étais là.

Je suis arrivée en février avec le 10ème pèlerinage mais… en réalité cela ne fait que quelques jours que je suis à la colonie.

Je le laissais méditer quelques secondes là-dessus avant de continuer.

Tu as peut-être entendu parler de moi. Je suis la fille qui a passé deux mois dans le coma en arrivant. Je n’ai pas supporté le choc, en débarquant à Terra Nova. Je viens de Détroit à la base et… enfin, mon corps n’a pas semblé ravi de se retrouver ici. plaisantais-je

Même si cela n’avait pas grand-chose de drôle, en fin de compte. J’avais perdu deux mois de ma vie, deux mois de vie au Paradis ou presque. Certaines personnes s’étaient un peu moquées, dans mon dos, me traitant de « pauvre petit chose fragile ». J’avais eu envie de leurs sortir mes lames et de les poser sur leurs gorges, pour le simple plaisir de les sentir trembler de peur en voyant le regard carnassier dans mes yeux. Mais je n’étais pas une meurtrière. Juste une criminelle, parce que porter des armes à Terra Nova, quand on n’était que civil comme moi, n’était pas autorisé.

Je m’appelle Tara. ajoutais-je, réalisant que s’il n’avait pas entendu parler de moi, ce qui était assez probable en fin de compte, je ne m’étais pas présentée. Merci pour les couteaux, j’y tiens beaucoup.

J’allais décrocher mon tapis en forme de silhouette, qui m’avait servi pour mon piteux entraînement. Il faudrait que je trouve un autre endroit, à l’avenir. Le plus simple aurait été de demander à Ezio, mais il restait un soldat. Je ne pouvais pas lui faire comprendre de manière aussi directe que j’avais l’intention de recommencer ces actions illégales.

J’ai perdu beaucoup de ma dextérité, à cause de ses deux mois de coma. J’aurais aimé retrouver mes capacités d’avant mais je suppose que… ce ne sera pas possible de faire ça discrètement.

Discrètement… loin des yeux électroniques et d’innocents qui pourraient facilement se changer en cible involontaire. Les soldats devaient bien avoir un lieu à l’abri où s’entraîner, mais il devait être mieux gardé que la hutte de notre cher commandant. Je n’avais donc aucune chance d’y parvenir sans une aide interne à la garde. Et je ne pouvais pas demander une telle chose à Dean. Je ne voulais pas qu’il sache que je m’amusais à un jeu aussi dangereux. Il aurait voulu me protéger et je n’acceptais que très modérément que l’on veuille prendre soin de moi contre mon gré. J’avais vécu seule, me débrouillant seule, durant pas mal de temps. Cela me faisait moins peur que la vie en société, moi qui étais plutôt timide, en vérité. Même si cela ne se devinait pas forcément au premier abord !

Je vais devoir me résigner et abandonner les lancers. soupirais-je, de la voix la plus triste que j’étais capable de prendre. Mon regard, profondément triste lui aussi, se posa sur Ezio, en une tentative peut-être vaine de l’attendrir. On ne savait jamais, sur un malentendu cela pouvait marcher…