Un corps.

Tu le vois, tu l'imagines, le ressent, le subit. Tel un bruit sourd, cette image claque, tonne, résonne, frappe chaque parcelle de ton crane, réveillant en toi une vive douleur. La même douleur que tu endures lorsque tu penses à lui, lorsque tu penses à eux, à vous. Cette impétueuse douleur, elle ne te quittera plus. Tu le savais, en te rapprochant de lui.
Alors tu t'affales, tu tombes de tout ton poids sur le rock-chair derrière toi. Tu sens le téléphone s'échapper de tes mains tremblantes et tu ne peux plus prononcer un seul mot, rendue muette par la violence du choc.
Ton enfant rampe jusqu'à toi, quémandant gaiement tes bras, tes caresses. Tu n'as pas la force de les lui offrir. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Tu ne lui réponds pas. Fermant tes yeux baignés de larmes, tu souhaites t'enfuir. Tu souhaites t'échapper. Partir loin de cette réalité qui t'écrases, laissant une marque indélébile sur ton cœur.
Amour, joie, passion.
Il se colle contre toi, t'embrasse avec tendresse, caresse tes cheveux. Doux contact... Tu as l'impression de pouvoir sentir la pression de sa main contre ta peau, la saveur d'un baiser contre tes lèvres, la chaleur du sang qui monte jusqu'à tes joues. Doux souvenir qui provoque en toi une indésirable réaction. Tu souffres. Tu pleures. Seul un prénom embrase ton tourment, alimentant sans cesse ce feu qu'est à présent ta peine, réchauffant ton mal pour faire bouillir cette douleur qui se propage dans tous tes membres. Jakub.
Tu ouvres les yeux. Ton fils se presse contre toi et sa présence t'a arraché de cette vision séraphique. Voir son visage t'écorche et tu as mal. Tu penses à lui, à ce qu'il deviendra. La douleur se fait plus vive. Il ressemble à son père penses-tu. Il ne le verra plus. Le petit tire sur ta manche. Soupirant, tu le soulèves et le pose sur tes genoux. Tu trembles encore. Tu le serres maladroitement contre toi. Pauvre enfant. Tu lui donnes un baiser et approche tes lèvres de son oreille. Un murmure, presque inaudible. Tu lui adresses quelques mots, sachant qu'il n'en comprendra pas le sens. Ces mots, tu les murmures pour toi.

Ça ira, Philip. Tu verras, ça ira...

Ces murmures se perdent et la conviction que tu souhaitais placer en eux s'effacent aussi rapidement que tu fermes la bouche. Tu la fermes sur un espoir que tu sais vain, tu la fermes sur un amour passé, virevoltant devant tes yeux. Un amour qui s'éclate contre les murs de la pièce, se brisant, irréparable. Tu ne le verras plus jamais.

Un corps.