Vivre à Terra Nova, c’est sympa pendant un temps. Puis soudain, on se rend compte qu’il y a des gardes partout, pas seulement pour protéger les habitants mais aussi pour leur interdire l’accès à l’extérieur de la colonie. Et quand on a remarqué les soldats, on ne peut plus voir qu’eux et eux seuls. Ils sont là, et puis là aussi, et là, et partout. Partout. Comble de l’affaire, je suis en train de tomber peu à peu amoureuse de l’un d’eux, même si rien n’est encore clair en moi. Je suis d’un naturel indépendant. Les soldats, les histoires d’amour, très peu pour moi. Enfin, c’est ce que je croyais il y a encore quelques jours, avant d’arriver avec la 10ème colonie.

Ce matin là, j’ai eu la brusque envie de tenter quelque chose. Quelque chose d’interdit. La veille, j’avais fais quelques essais de cocktail, jouant au barman en l’absence de Kara. J’avais essayé quelques mélanges, pour me rendre compte qu’un seul avait été concluant. Malheureusement, le fruit que j’avais utilisé pour le faire était en rupture de stock dans toute la colonie. Ayant demandé conseil à l’un des marchands pour savoir où le trouver, je n’avais pas mis très longtemps à me décider. Ma besace sur l’épaule, chaussures de marche aux pieds, couteau-papillon à la ceinture et carte à la main, j’étais partie à l’aventure.

Au début, tout s’était bien passé. Je m’amusais comme une folle, sautant de rocher en rocher pour passer un cour d’eau, suivant des sentiers plus ou moins mal tracés, évitant les pistes carrossables pour avoir moins de chance de croiser un sixer. J’avais à peine entendu parler d’eux, quelques rumeurs, mais je n’avais pas cherché à me renseigner davantage. Je ne voulais pas avoir d’a priori avant de les rencontrer. Je ne jugeais pas les gens sur des « on dit que ». Ce n’était pas du tout mon genre, j’avais besoin de me faire ma propre opinion. C’était peut-être la conséquence de mes trois ans d’études de psychologie, j’avais une certaine méfiance vis-à-vis des gens. Je ne leur faisais pas confiance facilement. L’âme humaine, pour moi, était naturellement corrompue et continuellement tentée de se corrompre encore plus ! Je n’étais absolument pas certaine que Terra Nova ne se finirait pas par un échec, l’Homme aurait beau avoir autant de seconde chance qu’il voudrait, il referait sans cesse les mêmes erreurs. Ou ferait preuve d’une incroyable ingéniosité pour en trouver de nouvelles. J’en étais absolument certaine.

L a preuve : j’avais enfreint des règles durant des années. Et à peine arrivée ici depuis quelques jours, je me mettais déjà à recommencer.

Je marchais déjà depuis quelques heures, lorsque ma carte électronique tomba et s’écraser contre un rocher. Le verre, pourtant extra résistant, se brisa et plus rien ne marcha. Super… Je n’avais plus qu’à essayé de retrouver le chemin, en revenant sur mes pas. C’est ce que je tentais de faire, jusqu’à ce que je ne dévie de ma route. Je venais de voir les fruits que j’étais venue chercher, quelques mètres plus loin. Je m’éloignais de la route que j’avais prise en venant, m’éloignant bien plus que je ne le pensais, pour aller chercher ses fruits : une sorte d’ananas préhistorique, tête bizarre mais goût exquis. En jus, c’était divin ! Les clients du bar de Kara allaient adorer.

J’en ramassais quelques uns, sans me douter de ce qui se tramait près de moi. Ce n’est que lorsqu’un jeune homme blond apparu brusquement dans mon champ de vision que je vis l’animal, une espèce de grosse dinde, à ses pieds, morte la gueule ouverte, des dents comme des rasoirs. Outch. Le jeune homme essaya de m’adresser un sourire, et un air pas trop menaçant. Il me disait vaguement quelque chose mais j’avais vu tant de nouveaux visages en si peu de temps que je n’étais pas certaine de le reconnaître. Pourtant lorsqu’il se présenta, tout me revint brusquement en mémoire. Je l’avais vu, le jour de mon arrivée, et nous avions discutés au bar, pendant un moment. Très gentil. Des bruits avaient courus ensuite, qu’il était parti, et je ne l’avais pas revu.

Cameron ! Oui bien sûr, je me souviens de toi.

Je m’approchais de lui, posant une main sur son épaule, je lui fis la bise de manière tout à fait convenable. Je le trouvais mignon et il n’avait qu’un an de plus que moi, mais je devais garder en tête que j’étais déjà plus ou moins avec un soldat. Et quel soldat ! Dean était vraiment adorable avec moi, et j’étais très attachée à lui. Mais dès les premiers mots échangés avec Cameron, nous avions bien accroché, j’avais eu l’impression de retrouver quelqu’un de perdu depuis longtemps, comme un frère de cœur, une personne d’importance.

Je suis venue chercher des fruits pour des cocktails. répondis-je en lui montrant l’ananas préhistorique que j’avais dans la main. Merci pour le… truc qui a voulu m’attaquer. C’est un Galesaurus, n’est-ce pas ? Je n’en avais jamais vu en vrai, mais j’ai lu pas mal de trucs sur eux.

Je tentais de voir la bestiole de plus près, franchement intriguée. Chaque nouvelle rencontre avec un animal local était un ravissement, pour moi. J’étais curieuse de tout, naturellement.

Il est incroyable ! Regarde cette quantité de dents c’est… fantastique. j’étais complètement époustouflée par la dinde préhistorique, que j’en oubliais de demander à Cameron s’il allait bien, ce qu’il était devenu, pourquoi il n’était jamais revenu me voir ni ne m’avait dit au revoir. J’avais repensé à lui, parfois, m’inquiétant de ce qui pouvait lui être arrivé.

Cameron était adorablement maladroit ! J’avais déjà remarqué, au bar la première fois que nous nous étions rencontrés, qu’il n’avait pas l’air très à l’aise avec moi. Est-ce que je l’intimidais ? Peut-être un peu. Ou alors, il n’avait pas l’habitude des contacts humains. Nous avions tous des blessures dans notre passé, qui avaient du mal à cicatriser. Des traumatismes plus ou moins enfouis qui dictaient nos actes présents.

Il me proposa de faire un commerce des fruits avec les aventuriers qui vivaient dans la jungle et dont il faisait désormais, visiblement, partie. Je le regardais vidé le dinosaure dont il m’avait sauvé, sans doute pour ne pas attirer d’autres prédateurs à cause de l’odeur. Sa proposition m’avait prise au dépourvue et je ne savais pas trop comment la refuser. Je n’avais pas le pouvoir d’accepter, je n’étais qu’une serveuse qui s’amusait à faire des mélanges, même si je trouvais son idée intéressante. Heureusement, Cameron comprit ma gêne et me proposa de seulement en cueillir pour moi, un peu, par amitié.

Je fais des essais de cocktails, et ce fruit m’a semblé très bon. Ce serait vraiment gentil de ta part de m’accompagner pour en cueillir d’autres. répondis-je, un peu trop mécaniquement. J’ajoutais : Et puis… si tu sais comment me raccompagner à la colonie ensuite, ce ne sera pas de refus ! Je crois que je me suis un peu perdue…

J’étais prête à faire confiance à Cameron, même si rien ne me prouvait qu’il ne fût pas devenu un Sixers depuis la dernière fois que je l’avais vu. Je n’avais rien contre ces rebelles, je ne les connaissais pas. Je songeais donc qu’eux non plus ne devait pas avoir de dent contre moi. Et en parlant de dent… Cameron me fit ensuite une proposition un peu étrange. J’éclatais de rire.

Joli ? Non je ne pense pas avoir cette notion là de la beauté ! Mais ça ferait un collier étrange, et ça, ça me plaît. Je lui adressais un sourire. Je te laisse faire, par contre, parce que je ne me sens pas capable d’arracher des dents à une mâchoire, même sur une bête morte qui a voulu m’attaquer ! Tu pourrais… est-ce que tu pourrais me le faire ce collier ? Et tu me le donnerais la prochaine fois que l’on se verrait.

Est-ce que je plaisais à Cameron ? Bonne question. En tous cas, j’avais vraiment envie d’avoir ce collier, ce serait un cadeau étrange mais j’étais certainement d’adorer cela ! Et j’avais envie de le revoir, de temps en temps, parce qu’il me paraissait sincèrement gentil.

Ou alors, on se trouve un endroit plus ou moins en sécurité et tu me montres comment monter les dents d’un dino en collier ! On ne sait jamais, ça pourrait me servir pour une prochaine fois. plaisantais-je

J’avais envie de passer un peu plus de temps avec Cameron, et sa démonstration de chasse m’avait véritablement impressionnée. Etait-il aussi doué pour confectionner des bijoux préhistoriques ? Je demandais à le voir à l’œuvre… Puis je n’avais aucune envie de retourner à la colonie maintenant. Je n’en étais pas partie depuis assez longtemps. Je n’avais pas vraiment le désir de me retrouver de nouveau nez à nez avec les soldats qui en gardaient chaque coin et recoin. L’autorité me donnait des allergies.

Tu m’apprends à faire un collier en dents, et en échange je… je te fais goûter un cocktail de ma composition ! Et si tu aimes, je t’apprendrais à le faire pour que tu puisses partager avec les autres aventuriers avec lesquels tu vis.

L’échange me paraissait correct. Restait à savoir si Cameron allait accepter… Je battis un peu des cils, séductrice, pour qu’il accepte. Il restait un homme, après tout. L’homme désire la demoiselle en détresse, c’est inscrit dans nos gênes. Enfin, c’est ce que ma mère m’avait toujours dis, et pour l’instant mon expérience était toujours allée en ce sens.

Cameron était de charmante compagnie. Il avait un style à lui, qui lui allait très bien. C’était sympa de se promener avec lui, il semblait réellement connaître cette jungle. Je n’avais pas trop le choix, perdue pour perdue, autant lui faire confiance pour me ramener. Je n’étais pas totalement sans défenses contre lui s’il ne s’avérait pas aussi gentil que prévu, mais… entre Cameron et les dinos à grandes quenottes, le choix était vite fait ! A propos de dents, je notais attentivement dans un coin de ma tête la recette pour s’en faire un collier. Ce n’avait pas l’air trop difficile, même si un air de dégoût se peignait sur mes traits à l’idée de devoir casser la mâchoire de ce truc inerte et froid comme… la mort. Humour noir.

Une grosse roche pleine de mousse ? répétais-je, un peu sceptique, me retenant de faire remarquer que toute les roches étaient pleines de mousses. A mes yeux, tout se ressemblait. Nous serions en train de tourner en rond ou de parcourir des centaines de mètres, cela ne faisait aucune différence. J’étais bien incapable de me repérer dans ce trou perdu, loin de tout et du reste, au milieu de rien et de nulle part. Même pour les beaux yeux de Cameron, je ne risquais pas de revenir bien souvent par ici. De toute manière, même si j’avais eu envie de revenir, j’en aurais été bien incapable. Impossible de retrouver son chemin dans ce labyrinthe de feuilles et de machins grands et verts communément appelés « arbres ».

Guerre ?

Tu vas rire, mais j’ai à peine entendue parler de cette guerre. On parle d’affrontements, de quelques rixes isolées mais pas encore de grand conflit général. Je ne m’occupe pas trop de ces choses là, tu sais. Je vis ma petite vie tranquille… En fait, j’aimerais bien croiser la route d’un sixer un jour, histoire de voir s’ils sont aussi horribles qu’ils le disent à la colonie.

C’était une idée un peu saugrenue qui me trottait dans la tête depuis un moment déjà. Je ne voyais pas à qui j’aurais pu en parler, personne ne savait que j’avais envie de rencontrer à un sixer. Cameron était le seul à qui j’avais avoué ce plan dangereux. Si je me promenais dans la jungle, ce n’était pas seulement pour ramasser des fruits. J’avais envie d’avoir une opinion bien arrêtée sur la situation, si la guerre devait se déclarer. Il me semblait inconcevable, en tous cas pour moi, de prendre partie dans une guerre où je ne connaitrais même pas l’adversaire.

Mais… ne va pas répéter ça à n’importe qui. Cela pourrait m’attirer des ennuis. Je préfèrerais que tu gardes cet aveu pour toi.

Marque de confiance. Avais-je confiance en Cameron ? D’une certaine manière, oui. Il avait fait le choix de quitter la colonie, et même si j’avais du mal à comprendre ce que cette jungle avait de plus à apporter que le confort et le luxe relatif de la colonie, j’admirais le courage dont il avait du faire preuve pour partir.

Et toi ? Tu as déjà rencontré des sixers ? Est-ce qu’on doit vraiment les craindre, tu crois ?

Parfois, je me disais que les sixers n’étaient pas aussi terribles, et que le Commandant exagérait la situation. Pour nous faire peur ? Pour nous garder solidaires au près de lui ? Peut-être… J’avais toujours eu tendance à me méfier des personnes qui représentaient l’autorité, et cela même si je sortais plus ou moins officiellement avec un soldat. Et que j’en fréquentais d’autres, de temps en temps, amicalement.

J’obéissais à Cameron, le laissant prendre le contrôle des opérations. J’avais bien conscience qu’il était sur son terrain, un terrain qui n’était pas le mien, et que donc je devais accepter qu’il y soit plus à l’aise que moi. En d’autres termes, je devais accepter qu’il me donne des ordres, ce que, en temps normal, je n’avais pas l’habitude. Je vouais une certaine haine à toutes les formes d’autorité qui nous régissaient.

Les fruits sur l’arbre qu’avait trouvé Cameron étaient parfaits ! Mûrs à point et pas trop gros, ils seraient faciles à couper. Je n’étais pas encore très à l’aise avec les couteaux locaux, mieux valait ne pas tenter le diable avec un fruit trop dur. Les couteaux, s’était mon rayon. J’en avais toute une collection que je conservais précieusement à l’abri des regards des soldats, même Dean ignorait tout de leur existence, car étant une civile on me les aurait confisqués. Une raison de plus pour me méfier de l’ordre instauré à la colonie. Et pour ne pas l’aimer beaucoup !

J’étais en train de cueillir des fruits quand un rire me fit tourner la tête vers Cameron. Un adorable petit dinosaure se trouvait dans ses bras, une bête qu’il appela ankylosaure.

Oh ! Il est adorable ! Regarde comme il est mignon, on dirait…

Je ne terminais pas ma phrase, car elle était idiote. Hormis à une sorte de tortue blindée, la petite bête ne ressemblait à rien de connu. Je m’émerveillais aussitôt pour cette créature encore inconnue, et par les connaissances de Cameron. Il chercha tout de suite où pouvaient se trouver les parents de l’adorable petit dino, et je lus une véritable anxiété sur son visage. Loin de paniquer moi-même, je laissais à Cameron le soin de prendre les décisions qui s’imposaient.

Est-ce que tu en as déjà vus des adultes ? Quelle taille font-ils ?

Nous commencions à nous éloigner de l’arbre à fruits et du bébé ankylosaure, à grands pas parce que Cameron semblait vraiment ne pas vouloir s’attarder ici. Mais la curiosité était sans doute l’un de mes plus gros défauts, et je mourrais d’envie de voir encore plus de dinosaures. J’étais certaine, en plus de cela, que Cameron avait encore énormément de choses à m’apprendre sur eux, et je voulais profiter de ses connaissances au maximum. En plus de cela, je n’étais pas certaine de quand je le reverrais, et je voulais profiter de son agréable compagnie. Je ne voulais pas que nos « retrouvailles » s’achèvent maintenant.

Tu ne connais pas un endroit où on peut observer des dinos sans courir trop de risques ? J’aimerais tellement en voir d’autres ! Je veux que tu m’apprennes tout ce que tu sais sur eux. suppliais-je d’un sourire que je tentais de rendre le plus charmeur possible.

J’espérais qu’il ne résisterait pas trop longtemps et que nous pourrions aller courir quelques risques ailleurs, tout les deux. Rentrer à la colonie maintenant me semblait inconcevable, alors que j’avais tant de choses à découvrir à l’extérieur, dans la jungle. Je ne voulais pas risquer de perdre une seule miette de connaissances.

Soudain, je m’arrêtais et me retournais.

Tu n’as pas entendu un bruit ?

Quelque chose, comme un craquement. Un bruit de branches qu’on écarte. Ou quelque chose comme ça… j’en étais certaine.