Ça n’est pas toujours le cas, mais le plus souvent néanmoins, c’est moi qui fait à manger dans la mesure où j’ai plus de temps libre que mon père, surtout certains soirs où il sort des entrainements pour enchainer ensuite avec une nuit de patrouilles ou de garde. Il ne me demande jamais rien estimant que je n’ai pas à le servir, je ne suis pas sa femme mais bien sa fille après tout, et il dit toujours qu’il faut que je profite de ma jeunesse, qu’ici ça vaut le coup de ne pas grandit trop vite. Mais je l’aide de bon cœur et j’aime faire la cuisine, d’autant que c’est aussi l’occasion de discuter un peu avec lui, depuis notre arrivée, on travaille tous les deux, et du coup, on passe assez peu de temps ensemble. Après tout il est parti en Russie pendant plus de six mois et ça ne fait pas si longtemps que nous nous sommes retrouvés, j’ai envie de profiter de sa présence retrouvée, surtout depuis que je sais qu’il a bien faillit ne pas revenir. La nuit vient de tomber, et je m’affaire car aujourd’hui c’est justement un jour comme ça, où papa a à peine le temps de manger et de partager quelques petites impressions sur nos journées respectives.

Pendant ma pause déjeuner, je suis allée cueillir des champignons dans la forêt, il y a déjà plusieurs semaines, j’y ai trouvé un sacré coin où poussait toute sorte de champignons dont j’ai gouté un bonne partie, les uns rendent malade, les autres font rire, mais beaucoup aussi ne font rien à part être bon, c’est ceux là que j’ai pris pour ce soir. Un jour il faudra que je dise à Nathanaël ce que j’ai trouvé, mais je n’ai pas envie d’abandonner ceux qui font rire, je ne sais pas trop quoi faire de cette découverte pour le moment, mais je ne me prive pas pour faire partager ma trouvaille à ceux que j’aime. En rentrant des vergers j’ai acheté des œufs de Claosaurus, c’est énorme, pas très pratique pour faire un repas pour deux, mais bon, je n’ai pas le choix, ce sont les seuls œufs qu’on trouve en assez grande quantité pour les manger sans risquer de mettre en péril l’espèce de ce dinosaure qui sans être petit est d’une taille un peu plus à échelle humaine que les autres.

En rentrant, j’ai remarqué que le jeune homme qui m'a tapé dans l’œil à mon arrive est là, perché sur la tour de garde la plus proche de la maison, je souris pour moi-même et je rentre. Mon père rentrera dans plusieurs heures, j’ai donc tout mon temps, je prends une douche, j’enfile un jean un débardeur et une chemise à carreaux, j’ai même le temps de préparer des cookies aux noix du crétacé, elles ont le gout de noix de pécan plus ou moins. Mais il manquera toujours les pépites de chocolat pour faire de vrais cookies, cela dit ce n’est pas mauvais, et puis ça dégage une bonne odeur de pâtisserie dans toute l’habitation. Vers l’heure où il doit arriver, je mets la table puis coupe les champignons en morceaux, perce un trou au sommet de l’œuf le verse dans un plat pour le battre en faisant chauffer une poêle et mélange les champignons avec l’œuf avant de verser le tour dans le creuset bien chaud. Ainsi quand papa arrive et ouvre la porte du bungalow, ça sent bon l’omelette aux champignons fraichement préparée et les cookies qui refroidissent hors du four, il n’a plus qu’à mettre les pieds sous la table et son sourire fait plaisir à voir. Il m’embrasse sur le front en passant un bras autour de mes frêles épaules et il s’installe pendant que je le sers.

- Coucou ! Hum, sa sent bon…
- Salut p’pa.
- Tu as passé une bonne journée ?
- Oui et toi ? Pas trop fatiguant ?
- Non ça va, mais cette nuit ça va être une autre paire de manche.
- J’ai préparé des cookies si tu veux en emporter…
- Merci ma puce, j’en prendrais peut-être quelques uns.
- Tu rentres vers quelle heure ?
- A l’aube, je dormirais ensuite, et c’est pas une raison pour faire des bêtises, cela dit tu peux sortir avec tes amis si tu veux, mais te couche pas trop tard, tu travailles demain.
- Oui p’pa… T’inquiète.

La conversation tourne ensuite autour des entrainements de l’un et de la cueillette de l’autre, mais à peine vingt minutes plus tard, il repart pour la nuit, dure journée pour lui, et pour moi, c’est l’occasion de faire quelque chose que je n’aurais jamais osé faire avant. Mais si ça continue comme ça, je ne saurais jamais comment il s’appelle, alors il faut que je me lance…

Je retourne dans ma chambre, je voudrais me mettre sur mon trente-et-un, mettre une robe, ouais, une robe, j’en essaye quatre avant de me décider pour une jupe noire à mi cuisses, un débardeur blanc tout simple, mes rangers et une petite veste kaki. Je mets du khôl sur mes yeux mais en me regardant dans le miroir je me dis qu’elle est vraiment courte cette jupe, j’hésite à changer, je respire profondément et je me dis que si je change encore d’avis il sera parti avant que je débarque. Je prépare une boite avec le reste de cookies et une assiette avec une belle part d’omelette et je sors direction la tour de guet.

« Hey ! Salut ! »

Je monte l’échelle, pas pratique avec une assiette pleine, un sac avec la boite de gâteaux et les couverts, et une jupe. Enfin je finis tout de même par y arriver et c'est pour me rendre compte, stupéfaite que ça n'est plus le garçon que je voulais voir mais un autre, passé ma tête de oh putain faites que je sois devenue invisible, je dis avec un sourire :

« Je t’ai vu tout à l’heure… je me suis dis que tu aurais faim… Tiens… »

Je lui tends l’assiette et je me rends compte à quel point ma démarche est bizarre, pourtant vu d’en bas ça semblait très logique et pas du tout débile, ni même grillé comme technique de drague toute pourrie, mais vu d’ici je dois être totalement ridicule, la bonne nouvelle c'est que c'est pas le beau brun aux yeux bleus qui saura à quel point je suis idiote. En plus je ne le connais pas ! Je ne connais ni son prénom ni rien sur lui à part que quand on est arrivé il nous a accompagné jusqu’au bungalow et que j’arrivais pas à détacher mon regard de ses yeux. Enfin si papa m’en a parlé, genre deux minutes un jour, et je me souviens de chaque mot qu’il a prononcé sur lui, mais putain je suis complètement folle ou j’ai pas de cerveau pour craquer sur un mec sans le connaître comme ça ?! J’ai pété un plomb moi, c’est pas possible, enfin maintenant que j’y suis, et face au mauvais mec, je dois me rattraper et aussi, me présenter quand même, au moins…

« Au fait moi c’est Natasha… Kayen…ko. »

Merde s’il sait qui est mon père il ne voudra jamais me parler… J’ai fait une bourde, je suis rouge comme une tomate, et j’ai l’air débile avec ma jupe sur une tour de guet. Je vais peut-être redescendre illico-presto parce que c’est la cata cette soirée qui s’annonçait pourtant si bien, mais non seulement il a fallut que je grimpe là sans vérifier qui était perché, et en plus je suis maladroite au possible, comme à chaque fois que je suis gênée...

« Bon ben… Heu… » Je sors la boite de cookies et la lui montre sans oser le regarder. « Tiens, j’ai ça aussi… si t’aimes pas l’omelette… » Je la pause à côté de lui et je retourne vers l’échelle. « Je… Je te laisse, je… si tu pouvais juste me rapporter l’assiette se serait sympa... mais si non... c’est pas grave, t’es pas obligé hein… » Même si dans ma tête c’était les secondes les plus longues de ma foutue vie, en réalité je lui ai à peine laissé le temps de me répondre, mais quoi qu’il en soit cette idée était grotesque, j’espère juste qu’il oubliera ça et que je le croiserais plus jamais et surtout putain, faites qu'il aille pas raconter ça à mon père !