« With a word she can get what she came for... » résonne Stairway to Heaven à mes oreilles comme une musique venue d'un autre temps. J'aime cette mélodie ; je crois même que c'est la seule chose que j'ai jamais apprécié de cette putain d'époque. A l'entendre, j'en oublie presque où je suis, et avec qui je suis... Parfois, ça aide...


« T'en as pas fini avec ta musique de merde ? » hurla-t-elle à travers le rideau de douche. Je me surpris à rougir en m'apercevant que je la fredonnais à haute voix ; j'avais oublié Erza qui rôdait dans le coin. J'habite avec elle depuis notre arrivée à Terra Nova. Je vous dis pas le bordel que c'est d'avoir une nana comme ça dans les pattes. Et pourtant, il n'a jamais été question de nous séparer. C'est comme cette fameuse thèse sur les électrons de même valeurs qui s'annulent entre eux. Bah faut croire que ces binoclards de scientifiques ne sortent pas toujours que des conneries. A ceci près qu'à notre échelle, je vous raconte pas les dégâts que ça occasionnent. « Parce qu'une nana qui grimpe aux arbres comme un macaque peut me dire que j'écoute de la saloperie ? » lançais-je en piochant un de ces trucs dégueulasses qui trainaient dans la corbeille de la cuisine. L'art culinaire du crétacé, une merveille ! Ici, si tu crèves pas dans le bide d'un dino, c'est surement ce que t'auras dans le bide qui te bouffera... « Alors quoi, tu veux une banane ma belle ? » continuais-je en levant les yeux vers la porte de la salle de bain qui s'ouvrait. « Je... » m'interrompais-je en la contemplant enroulée dans une serviette qui la recouvrait de la poitrine jusqu'en haut des cuisses ; mais laissant tout de même apparaitre une belle longueur de jambe à vous faire sauter les boutons de braguette. « Y'a un problème ? » Je la sentis inconsciemment qui resserrait sa prise sur la serviette, avant de disparaître dans la pièce d'en face. Elle avait beau le cacher, je savais qu'elle était toujours aussi gênée d'être à demi-nue en ma présence, et cela malgré le temps que nous avions passés ensemble depuis notre première rencontre. Allez savoir pourquoi. « Ou t'en as juste marre d'être un crétin ? » continua-t-elle moqueuse. « Je me disais juste que si tu te fringuais plus souvent comme une gonzesse, finalement t'arriverais peut être à faire craquer un deux-pattes. » Ma propre réplique me fit frissonner. Elle reflétait bien trop mes pensées du moment pour sonner innocemment à mes propres oreilles. « La prochaine fois qu'un dino' bouffera ton joli petit cul Carter, rappelle moi de le saluer au passage. » « Moi aussi, je t'aime Miller. » « Fuck. »



« And she's buying a stairway to heaven... » La dernière fois que j'ai eu assez de temps pour me repasser la chanson entièrement ; enfin surtout sans être interrompu, je l'ai amèrement regretté. A la fin, je me suis retrouvé devant un vide silencieux. Un vide qui avait pris son nom.


Parfois, on ne remarque pas tout de suite ce qu'on a sous les yeux. C'est comme chercher partout ses clefs, alors qu'elles se trouvent dans votre poche. Au final, le plus important c'est de comprendre assez vite son erreur. Ce que je n'ai pas fait à ce moment là, ce que je n'ai toujours pas fait à l'heure actuelle. Mais quand à Erza, il lui avait fallu deux secondes pour entamer des liens qui s'étaient forgés en treize ans. Comme ça, sans un mot. Quoique non, je me souviens encore de ses cris de rage quand elle a tentée de me démolir la gueule. J'aurais adoré ça si j'en avais pas été la victime. Après oui, c'est vrai qu'on avait couché ensemble. C'était une connerie peut-être. Mais c'était aussi un des meilleurs moments qu'on avait passé ensemble, et je doute qu'elle me contredise sur ce point. Alors quoi ? Qu'est ce qui avait pu lui déplaire ? Du jour au lendemain, elle m'a mis sur la touche. Banni de son existence. Pour dire vrai ça aurait été n'importe qui d'autre, je n'aurais pas cherché. Mais là, c'était une part de moi qu'on arrachait, même si jusqu'à ce moment précis je l'avais ignoré.

Parfois je me dis même que ma vie à vraiment débuter lorsque nos chemins se sont croisés. Deux mioches que l'existence n'avait pas épargné, et qui ensemble forcèrent leur destin. Sa volonté et sa force de vivre avait eu raison de l'orphelin endurcis que j'étais alors. Pour la première fois, je n'étais plus seul. C'était devenu « nous » ou rien. Et libre de toute attaches, nous nous engagions dans l'armée quelques années plus tard. Ce fut une révélation pour moi. Mes compétences apprises dans la rue devinrent des armes qui s'aiguisèrent petit à petit. Le petit voleur se forma au renseignement, le pirate amateur en informaticien chevronné, et le casse-cou en commando suicide. Erza en fit autant de son côté, et c'est ensemble qu'on en arriva finalement à décrocher notre ticket pour le « paradis ».

Mais au final, quelle putain de blague que ce paradis! Si Terra Nova pouvait se vanter de charrier un air pur, la merde qu'elle amenait sous ses bottes n'étaient pas en reste. Oh, je ne parle pas de toutes ces saloperies à quatre pattes issues du crétacé, ni des abrutis de sixers, ça je pouvais encore encaisser. Non, je parle d'un père. Du genre : « Hey fiston, t'as grandi dis donc durant ces vingt six dernières années. Tiens au faite, faudrait qu'on invite ta sœur à la bar mitzva ». Vous voyez le genre ? Je crois que si Kordsmeier n'avait pas été là, je l'aurais renvoyé dans son trou le vieux. Je n'ai jamais connu de famille, et je doute un jour de pouvoir accepter l'un ou l'autre d'entre eux. Bien que l'idée de rencontrer cette fille me trotte dans la tête depuis un bon moment maintenant. Alors ajoutez à ça le fait que la seule personne que je connais depuis plus de dix ans ne peut plus m'encadrer, et vous avez le tableau dans son intégralité. Un chef d'œuvre made in Terra Nova. Que l'artiste se cache, il risque gros !