« Moi y parait que je suis née dans une ville au bord de l’océan, Ensenada, c’est pas loin de Tijuana et de la frontière. C’est là que ma mère a décidé d’aller quand elle s’est rendu compte qu’elle était enceinte - peut être a t-elle choisi le Mexique parce que c'est de là-bas que viennent ses parents, j'sais pas. En tout cas elle n’a rien dit à son copain, ouais apparemment mon cher père avait aucune envie de s’encombrer d’un gosse – après faut dire qu’à vingt ans on est pas trop prêt pour une telle responsabilité, surtout quand on sait à quel point notre gouvernement encourage la reproduction. Quoiqu’il en soit ma génitrice n’avait que dix-huit piges et ne voulait pas gâcher ses espoirs d’une vie de famille – autrement dit, à quatre – avec un môme si précoce que son futur mari jugerait sans doute comme un poids inutile prenant la place d’un des enfants qu’il aurait pu avoir.
Enfin bon je vais pas me plaindre, elle aurait pu m’abandonner dans un coin ou me jeter à la flotte. Mais au lieu de ça elle a co’même pris la peine de me ramener chez elle, à New-York. A cette époque la cité commençait déjà à être plus que surpeuplée et on surveillait donc de plus en plus intensément toutes les personnes qui en franchissaient les murs. Traverser tout le pays jusqu’à la côté Est avec un bébé à cacher et à trimballer, ça a pas dû être une mince affaire – sur la fin j’crois qu’elle a été obligée d’appeler mon père pour l’aider, et après passé le choc de me voir il a lui aussi joué un certain rôle dans mon retour au bercail. Même si ils voulaient pas de moi dans leur vie ils se sont co’même donné du mal pour que j’ai une chance, c’est pour ça que j’leur en veux pas trop.
Puis en plus j’avais mon abuelo, et c’était plus que suffisant croyez-moi !

Après ça mes parents m’ont emmené chez mon grand-père maternel - d’ailleurs tout ça c’est lui qui me l’a raconté à l’adolescence. Ils l’ont convaincu de me garder avec lui. Sa femme était morte et il n’avait qu’une fille unique, il n’avait donc jamais atteint le quota de deux enfants par famille et il n’enfreignait donc pas la loi. Techniquement j’étais de son sang, donc en cas de contrôle les tests adn m’affirmeraient bien comme étant sa descendante – pas directe mais ça personne n’en saurait rien. Quand il a accepté sa fille l’a remercié en me donnant son nom. Hidalgo c’était son nom de famille, et il parait qu’il avait été très déçu puisque, n’ayant pas de fils, il disparaitrait avec lui. J’étais donc Dakota Hidalgo et lui c’était mon père - mon vrai nom, Keenan, je n’en parlais jamais puisque c’était celui de mon autre papa, le génétique.

A part ça j’ai grandi plutôt normalement. Crachotant et toussant de plus en plus souvent quand les fins de mois étaient dures et qu’on devait se passer d’oxygène en bouteille pour quelques jours. Je travaillais dans une sorte de décharge, sauf que la ville entière en était une de toute façon, et j’étudiais rarement. Assez tôt mon abuelo m’a appris à me défendre, aussi bien à mains nues qu’avec un poignard qu’il m’avait offert pour mon dixième anniversaire – c’était nécessaire pour éviter les embrouilles dans une ville comme New-York.
A la même période on commença à parler d’une faille étrange, découverte avant sa naissance mais dont les scientifiques semblaient avoir découvert des propriétés fascinantes ouvrant d’immenses possibilités aux hommes.

A cette époque - malgré le monde qui m'entourait - l'espoir ne m'était pas étranger. J'étais une adolescente, presque une adulte aux yeux de certains - on devait tous grandir vite pour s'en sortir - mais toujours une enfant pour d'autres. C'est entre ces deux statuts que j'ai rencontré l'Espoir. C'était un garçon à peine plus âgé que moi et d'un milieu plus aisé - mais attention à ne pas me confondre avec ces midinettes qui soupirent après les hommes et les princes charmants.Iil se trouvait à la limite du monde que je pouvais encore imaginer. Cependant ce n'est pas pour cela que sa vie en avait été simplifiée. Il souffrait, et sans doute plus que moi qui n'avais pas grand chose à perdre - lui c'est ce qui lui était arrivé, il avait beaucoup perdu. A l'époque il m'a permis d'entrevoir une vie possible, meilleure et pas si inenvisageable que ça.. Et j'y ai cru. Il me parlait du futur, passionné par la brèche d'Hope Plaza et d'un niveau scientifique impressionnant - malgré son jeune age - qui pouvait vraisemblablement l'appeler là-bas un jour. Quelques temps passèrent ainsi - moi j'ai l'impression que cela dura des années mais je sais qu'il n'en est rien - puis ce fut fini.
Je n'entendis plus parler de lui. Du jour au lendemain je suis restée sans aucunes nouvelles. Aujourd'hui encore j'ignore si il est mort, a quitté la ville, ou a juste trouvé mieux à faire que de trainer dans les bas-fonds avec une fille comme moi. Cela va faire sept années maintenant, et pourtant je n'ai pas l'impression que cela soit fini.

J'ai donc grandi en écoutant parler d’Hope Plaza et de la terre nouvelle, jamais je n'ai songé à y aller. On y envoyait les érudits et les grands chercheurs, je n’étais ni l’un ni l’autre et je n'y avais donc pas ma place. Même quand on parla de citoyens lambda choisis pour ce voyage j'ai continué à considérer cela comme n’étant pas de mon ressort. Si j'étais si chanceuse pourquoi ne gagnerais-je pas plutôt une belle somme au poker ?
Pourtant l’improbable n’est pas impossible. Et je fus choisie. Le neuvième pèlerinage parti lors de ma vingt-deuxième année, et pendant la suivante on m'annonça qu’une place m'attendrait à Hope Plaza pour le départ du dixième. J'ai bondi de joie pendant des jours, que peut-on rêver de mieux ? Qu'une gamine sans espoir, qui avait parcouru les rues sales de New-York sans jamais lever deux fois les yeux au ciel, puisse se voir offrir une telle chance ! Mais la douche froide ne tarda pas. Quand j'ai reçu mon laisser-passer pour le paradis. Le mien. Un seul. Quand quelqu’un était tiré à la loterie ou choisi pour ses talents, sa famille faisait naturellement parti du voyage. Son conjoint, ses enfants. Pas ses parents.
Je me suis torturée l’esprit pendant des jours, des semaines. Je ne pouvais PAS partir sans mon abuelo, ce vieil homme aux cheveux salés et au teint halé qui m'avait élevé
Et pourtant c'est ce que j'ai fait.
Au début de l’an 2149 j'ai laissé tout ma vie derrière moi, et je suis partie pour Hope Plaza.»


C’est le cœur brisé qu''elle fit la queue avec tous les autres colons. Le cœur brisé qu’elle ressassait les derniers mots du vieil homme et qu’elle franchit le portail.
- ’’A partir de cet instant et jusqu’à ton dernier souffle, je suis mort pour toi. Alors part et ne me regrette en rien. ‘’.
Elle appliqua ce conseil dès qu’elle arriva sur Terra Nova.
La première chose qu’elle y vu fût une de ces créatures de légende au plumage soyeux, à l’œil vif et au vol élégant. Elle en avait entendu parler mais jamais vu puisqu’il n’y en avait plus en 2149 – et même si la pollution ne les avait pas tous décimé les nuages noirs couvrant en permanence le ciel les auraient caché à leur vue. Cet oiseau-là n’avait pas de plumes mais une peau disgracieuse et tendue à la teinte grisâtre, et ses dents aussi longues qu’une main humaine n’encourageaient nullement à la trouver magnifique ou sympathique. Cependant il était libre. Et si les larmes me sont venues aux yeux ce n’était pas à cause de l’oxygène qui me consumait intérieurement, mais seulement que quand on n’est pas habitué à l’espoir et qu’il vous tombe dessus d’un coup c’est… surprenant.
Quand les soldats et les colons les accompagnèrent jusqu’à la colonie, elle ne fut pas la seule parmi les nouveaux-venus à regarder autour d’elle avec stupeur. Et elle n'écouta que d'une oreille le discours du commandant, presque aussi impressionnée par la sagesse et la force qui s'en dégageaient que par le bleu du ciel derrière lui.
On lui attribua un logement si neuf et si grand qu'elle eut peine à y croire. Elle s'engagea dans l’armée de la colonie dès sa première semaine sur Terra Nova.

«Maintenant ça va faire environ deux/trois mois que je suis là, pour l’instant je n’ai eu que des ordres concernant telle ou telle chose à faire dans le camp, mais il parait qu’après j’aurais le droit d’aller en patrouille dehors. Je ne suis pas sure d’avoir envie de rencontrer mon premier Carnos mais il doit y avoir des choses encore plus fascinantes au-delà des palissades. »